J’ai toujours veillé à séparer ma vie d’artiste de ma vie privée. C’est ainsi qu’est né Dorian Lake, au cours de l’année 2015. Ce nom de plume me permettait d’avoir une identité propre à l’écriture. À l’époque, je travaillais dans une grande entreprise et n’étais pas certaine que mélanger ces deux vies soit une bonne idée : ma vie professionnelle n’aurait pas paru très passionnante pour mes lecteurs et ma vie artistique ne collait pas bien avec le monde du salariat.
Dorian était aussi une forme d’expérimentation. Ce pseudonyme m’a permis d’écrire mes premiers romans, de me faire connaître à ma modeste échelle et ce dans plusieurs styles différents. C’était foutraque, mais bouillonnant de créativité.
Il y a cependant eu un moment où j’ai commencé à douter, artistiquement. J’ai rencontré Louise et son Lierreux, qui ont changé ma vie. Ce roman m’a fait réaliser que jusque-là je me contenais dans mes émotions , que je n’allais pas au bout de ce que je pouvais réaliser, que j’avais une pudeur vis-à-vis de mes textes, une pudeur qui m’empêchait de bien écrire. Vraiment bien écrire, j’entends. Depuis, j’ai travaillé à laisser libre court à mes émotions, qui pour moi sont le cœur de tout Art. Je trouve que je me suis beaucoup améliorée ces derniers mois. J ’ose davantage. Mes textes sont plus personnels, plus sincères, et ce que je produis me plait de plus en plus.
Ainsi, Dorian Lake est devenu un intermédiaire entre moi et l’Art dont je ne souhaite plus. Mes derniers écrits ne reflètent plus ce pseudonyme, devenu inutile.
Il est temps que je l’abandonne…
Toutefois, et c’est l’objet de ce message, je ne l’abandonnerai pas pour mon prénom de naissance. Ma rencontre avec Louise m’a fait réaliser que je n’étais pas moi-même dans l’Art, certes, mais pas non plus dans la vie. Je gardais quelque chose de plus profond pour moi, que j’étouffais, par retenue et par peur.
C’est un sujet que j’aurais sans doute préféré garder privé, mais je suis artiste et mon Art fait partie de moi, de mon identité profonde, ce que je ne souhaite pas cacher . Je préfère affirmer cette identité.
Ce n’est ainsi pas mon ancien moi, faux, qui s’élèvera des cendres de Dorian, mais Morgane. Je suis une femme, née dans un corps d’homme, sans s’être jamais reconnue comme telle. Pas au fond . L’Art, pour moi, est une recherche de l’intégrité, de l’honnêteté et, aujourd’hui, c’est un principe que je souhaite porter dans ma vie, de toutes mes forces, en faisant fi des convenances, des normes sociales et de toute cette silencieuse oppression qui poursuit chacune et chacun de la naissance au trépas.
J’ai donc décidé de prendre mon nom – mon vrai nom – dans tous les aspects de ma vie : privée, publique et artistique. Mes livres déjà publiés resteront sous « Dorian » pour le moment, par souci de praticité, et parce que je vais déjà avoir suffisamment de travail à changer de prénom dans la vie civile. Mes prochaines parutions seront en revanche bien sous Morgane.
Dorian Lake est mort, mais Morgane est bien vivante et elle n’aura de cesse de faire savoir qu’elle existe.
J’étais à nouveau entière. Cette floraison inattendue dans mon corps fouaillé, dont on avait cherché à me déposséder, levait un voile sur les capacités étranges que recelait mon être. Toute peur fut alors anéantie ; les racines de ma joie de vivre s’enfoncèrent avec vigueur dans la terre de mon esprit. Levé était le voile sur ce déni de mon inconnu intérieur. De quelle puissance régénératrice étais-je l’heureuse détentrice ? J’avais bravé les interdits, les barrières et l’esclavage au sein même de ma chair outragée. Mon corps était ma première revanche sur les hommes qui m’avaient souillée de leurs instruments violeurs. Ce même corps ne pouvait mentir sur la question de ma nature profonde. J’étais autre et ne me comprenais pas encore dans ce nouveau sens que je revêtais. La route s’annonçait longue, mais j’étais désormais curieuse de voir où elle me mènerait.
Extrait de Vert-de-Lierre, de Louise Le Bars, aux éditions Noir d'Absinthe