mercredi 10 octobre 2018 | By: Morgane Stankiewiez

Chronique littéraire : Vert-de-Lierre, de Louise Le Bars

Il y a des romans que l’on dévore, et il y a ceux, rares et dangereux, qui vous dévorent. Ces ouvrages ne se montrent pas toujours comme tels dès le début : ils prennent parfois le temps d’étendre leur toile autour de la victime inconsciente que vous êtes. Puis, vient le moment où les mots s’échappent du livre et entrent en vous, y prennent racines et, avant que vous ne vous en rendiez compte, il n’y a plus qu’eux. Seuls comptent l’histoire et les personnages, quitte à vous arracher un moment de votre vie. Une obsession.

Rare, donc.

C’est pourtant bel et bien ce qui s’est passé avec le roman Vert-de-Lierre, de Louise Le Bars.


Pour recontextualiser, j’ai rencontré Louise aux Halliennales, invitée par Marie-Aude (NDLR : une autrice de chez Noir d’Absinthe), qui avait elle-même fait sa rencontre en Bretagne, il n’y a pas si longtemps. Louise m’a brièvement montré son livre dans la journée, mais il a fallu attendre la soirée et des discussions, pour que je cerne mieux l’autrice et soit ainsi intrigué par ce qu’elle pouvait bien écrire, d’autant que nous semblions avoir des références communes.

Elle n’avait plus d’exemplaires sur elle, et j’ai donc pris l’ebook le lendemain, guidé par l’intuition. Chose rare, je l’ai commencé immédiatement, intrigué par ce concept de vampire végétal, brièvement mentionné sur le résumé (résumé que j’avais à peine survolé). Et puis avouons-le, depuis que je travaille à mon compte, je ne lis plus que les œuvres de mes connaissances.

J’espérais apprécier la plume de Louise, avec toutefois la crainte de ne pas adhérer (on a toujours un peu cette peur, lorsque l’on lit le texte de quelqu’un que l’on apprécie), auquel cas j’aurais fait semblant de rien et n’aurais pas mentionné ma lecture. Comme vous l’avez vu avec l’introduction de mon avis, cette crainte était infondée.

Voici le résumé, pour celles et ceux qui les lisent en entier, même si je vous en déconseille la lecture. Bien que pertinent, il ne démontre en rien la richesse de cette œuvre. Mieux vaut entrer dedans dans le même état que le personnage principal, c’est-à-dire vierge et sans repères.

Olivier Moreau, un auteur de romans policiers en manque d'inspiration, décide de retourner dans le village de sa grand-mère tout juste décédée afin d'y régler certains détails. Il y renoue avec les souvenirs de son enfance, et redécouvre un étrange personnage de conte populaire local surnommé le Vert-de-Lierre, sorte d'antique vampire végétal qui le fascinait enfant. Cet intérêt va déclencher des visions et cauchemars chez l'écrivain en mal d'imaginaire ainsi que la rencontre de deux femmes tout aussi intrigantes l'une que l'autre. Olivier découvrira que cette figure païenne ancestrale est bien plus qu'un simple conte bon à effrayer les enfants...

Le récit est assez délicat à chroniquer, et j’ai peur que les mots ne suffisent pas à exprimer la fascination de cette lecture. On pense d’abord entrer dans un roman masculin, centré sur le personnage principal (auteur de polar en manque d’inspiration), qui découvre les mystères dans un petit village. Dans un sens ce n’est pas faux, mais le récit va bien plus loin.

Il confronte Olivier, mais aussi le lecteur, à d’autres personnages, féminins, dont la psyché est délicatement ciselée. L’histoire nous échappe d’ailleurs, tout comme à Olivier, et appartient aux héroïnes du récit, nymphes cruelles qui se sont jouées de nous et nous ont fait croire que nous avions un mot à dire, alors que nous avions seulement des yeux pour lire.

La plume de Louise permet de trouver cette finesse et cette subtilité, tant elle est magique. C’est le genre de romans où l’on peut s’arrêter sur les phrases, pour les relire, tant elles sont belles. Difficile de croire qu’il s’agit d’un premier roman, et plus dur encore d’imaginer jusqu’où l’autrice pourra aller. Vraisemblablement au sommet, si elle continue sur cette voie. En tant qu’auteur, c’est presque douloureux d’assister à une telle maîtrise de la langue, et mon complexe de l’imposteur s’est réveillé un peu plus à chaque page. J’en suis ressorti aussi heureux de ma lecture que vexé dans mon amour propre.

Cela dit, une belle plume sans fond n’a que peu d’intérêt, et c’est là que l’œuvre brille. Il ne s’agit pas d’un ersatz, mais d’un authentique diamant. Véritable roman gothique, dans la lignée de la littérature du XIXe siècle, l’intrigue se paye le luxe d’être admirablement construite et de se tenir, de bout en bout, même si on la voit venir. Pas grave, Louise le fait si bien qu’on a envie de se laisser piéger, même une fois qu’on a perçu ces toiles dont je vous parlais plus tôt. Il n’y a pas de souci de rythme non plus, écueil qui peut souvent faire chavirer les textes uniquement stylistiques, et, cerise sur un gâteau déjà bien toqué, le texte est engagé et fait réfléchir sur la condition féminine, à travers les siècles comme aujourd’hui.

Comment une jeune autrice peut produire tel bijou, je l’ignore. Pire, comment a-t-elle fait pour ne pas être prise par Grasset ou Gallimard ? C’est une honte...

L’œuvre n’est pas parfaite (j’ai notamment été déçu par le tout dernier chapitre, que je trouvais en trop, et j’ai aussi trouvé qu’il manquait un dernier passage éditorial, mais je chipote et c’est le professionnel qui parle), mais à mes yeux, c’est une merveille.

Si vous êtes sensible au beau, à la fascination et aux sentiments, au vampire et à la virtuosité de la langue, alors n’hésitez pas. On tient peut-être notre future Anne Rice.

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