mercredi 16 octobre 2019 | By: Morgane Stankiewiez

Dorian Lake est mort

J’ai toujours veillé à séparer ma vie d’artiste de ma vie privée. C’est ainsi qu’est né Dorian Lake, au cours de l’année 2015. Ce nom de plume me permettait d’avoir une identité propre à l’écriture.  À l’époque, je travaillais dans une grande entreprise et n’étais pas certaine que mélanger ces deux vies soit une bonne idée : ma vie professionnelle n’aurait pas paru très passionnante pour mes lecteurs et ma vie artistique ne collait pas bien avec le monde du salariat.

Dorian était aussi une forme d’expérimentation. Ce pseudonyme m’a permis d’écrire mes premiers romans, de me faire connaître à ma modeste échelle et ce dans plusieurs styles différents. C’était foutraque, mais bouillonnant de créativité. 

Il y a cependant eu un moment où j’ai commencé à douter, artistiquement. J’ai rencontré Louise et son Lierreux, qui ont changé ma vie. Ce roman m’a fait réaliser  que  jusque-là je me contenais dans mes émotions , que je n’allais pas au bout de ce que je pouvais réaliser, que j’avais une pudeur vis-à-vis de mes textes, une pudeur qui m’empêchait de bien écrire. Vraiment bien écrire, j’entends. Depuis, j’ai travaillé à laisser libre court à mes émotions, qui pour moi sont le cœur de tout Art. Je trouve que je me suis beaucoup améliorée ces derniers mois. J ’ose davantage. Mes textes sont  plus personnels, plus sincères, et ce que je produis me plait de plus en plus. 

Ainsi, Dorian Lake est devenu un intermédiaire entre moi et l’Art dont je ne souhaite plus. Mes derniers écrits ne reflètent plus ce pseudonyme, devenu inutile.

Il est temps que je l’abandonne…

Toutefois, et c’est l’objet de ce message, je ne l’abandonnerai pas pour mon prénom de naissance. Ma rencontre avec Louise m’a fait réaliser  que je n’étais pas moi-même dans l’Art, certes, mais pas non plus dans la vie. Je gardais quelque chose de plus profond pour moi, que j’étouffais, par retenue et par peur.

C’est un sujet que j’aurais sans doute préféré garder privé, mais je suis artiste et mon Art fait partie de moi, de mon identité profonde, ce que je ne souhaite pas cacher . Je préfère affirmer cette identité.
Ce n’est ainsi pas mon ancien moi, faux, qui s’élèvera des cendres de Dorian, mais Morgane. Je suis une femme, née dans un corps d’homme, sans s’être jamais reconnue comme telle. Pas au fond . L’Art, pour moi, est une recherche de l’intégrité, de l’honnêteté et, aujourd’hui, c’est un principe que je souhaite porter dans ma vie, de toutes mes forces, en faisant fi des convenances, des normes sociales et de toute cette silencieuse oppression qui poursuit chacune et chacun de la naissance au trépas.

J’ai donc décidé de prendre mon nom – mon vrai nom – dans tous les aspects de ma vie : privée, publique et artistique. Mes livres déjà publiés resteront sous « Dorian » pour le moment, par souci de praticité, et parce que je vais déjà avoir suffisamment de travail à changer de prénom dans la vie civile. Mes prochaines parutions seront en revanche bien sous Morgane.

Dorian Lake est mort, mais Morgane est bien vivante et elle n’aura de cesse de faire savoir qu’elle existe.

J’étais à nouveau entière. Cette floraison inattendue dans mon corps fouaillé, dont on avait cherché à me déposséder, levait un voile sur les capacités étranges que recelait mon être. Toute peur fut alors anéantie ; les racines de ma joie de vivre s’enfoncèrent avec vigueur dans la terre de mon esprit. Levé était le voile sur ce déni de mon inconnu intérieur. De quelle puissance régénératrice étais-je l’heureuse détentrice ? J’avais bravé les interdits, les barrières et l’esclavage au sein même de ma chair outragée. Mon corps était ma première revanche sur les hommes qui m’avaient souillée de leurs instruments violeurs. Ce même corps ne pouvait mentir sur la question de ma nature profonde. J’étais autre et ne me comprenais pas encore dans ce nouveau sens que je revêtais. La route s’annonçait longue, mais j’étais désormais curieuse de voir où elle me mènerait.

Extrait de Vert-de-Lierre, de Louise Le Bars, aux éditions Noir d'Absinthe



mardi 22 janvier 2019 | By: Morgane Stankiewiez

Carpe Diem - Récit Artistique

Carpe Diem.

Une locution latine qui est souvent traduite par « profite du moment présent », ce qui n’a rien à voir avec le sens de ces mots, qui signifient « cueille le jour ». C’est un encouragement à agir, car on ignore de quoi demain sera fait et, si on n’agit dans l’instant, on perd peut-être toute chance.

Voilà l’histoire de ma journée.

Tout a commencé avec Fabienne, une amie de la #NDAfamily, qui m’a souhaité une merveilleuse journée. Je suis plutôt pointilleux (pour ne pas dire chiant) sur les mots et je l’ai reprise, en lui disant que non, un mardi 22 janvier 2019 ne sera pas une merveilleuse journée ; tout au plus, ce serait pas mal. Oui, au lieu de simplement la remercier…

Puis voilà que, vers onze heures, je réalise qu’il neige. J’en discute avec Louise, ma jumelle de plume, en lui disant que ça aurait été sympa d’aller se balader à Paris et faire du repérage pour notre prochain roman (NB : elle habite en Bretagne). Puis je me dis que tant pis, j’irai seul dans l’après-midi. Et puis non : je vais y aller maintenant, alors que dehors il neige fort.

Je sors de mon appartement, emmitouflé – autant que peut l’être un dandy, je n’ai pas de doudoune Canadian Goose ou je ne sais quoi – aussitôt assailli par la neige. Je croise nombre de passants, qui fuient la neige que je vais quant à moi chercher. Je me dirige vers le métro, le petit jardin attenant magnifique sous le manteau blanc. Il y a une arche de lierre qui y mène, recouverte d’un linceul hivernal. Il fait glacial, mais la vue en vaut la peine. J’aime le lierre, une plante symbolique pour moi, car elle a auguré de grands changements, dans ma vie littéraire, et bien plus.

Trajet en métro que je vous épargne, et quarante minutes plus tard, je ressors aux Abbesses, la station de Montmartre. J’ai habité à Montmartre, il y a des années, c’est l’un de mes quartiers préférés de Paris, non seulement pour sa beauté, son côté « village », mais aussi pour tout ce qu’il incarne. C’est le haut-lieu de l’art romantique, les poètes maudits, les cabarets, la vie bohème, l’absinthe aussi. Aujourd’hui c’est plus touristique, bien sûr. L’âme demeure, pourtant.

À la sortie des Abbesses, je me suis dirigé vers un tout petit square, qui aurait eu peu d’intérêt s’il n’avait été recouvert de blanc. Je m’y suis avancé, j’ai dépassé les quelques courageux touristes et me suis retrouvé seul dans un petit endroit. J’ai pu m’abriter de la neige qui tombait toujours, contre un mur très légèrement couvert.


Voilà ce que j'écoutais à ce moment

Là, debout, dans le froid, j’ai sorti mon carnet, qui ne me quitte plus depuis que j’ai commencé à écrire à la main, et j’y ai écrit une lettre. L’inspiration vient facilement dans ces conditions, avec un tel paysage, perdu en plein Paris, isolé du monde par la musique et une délicieuse intempérie. Oui, les os se glacent, les doigts ont du mal à aligner les mots, j’en conviens. L’art appelle, toutefois, et quoi de plus romantique qu’une lettre écrite dans un jardin d’hiver, au cœur du village des poètes et des artistes ?

L'endroit d'où j'écrivais
Le froid a fini par avoir raison de moi, cela dit, et la lettre finie, je suis allé me réfugier dans un café. 2,60€ l’allongé, ça pique un peu oui, et avec un téléviseur diffusant tous les clips actuels, musiques insipides, à la limite du tolérable. Heureusement, j’avais toujours mon casque.

Je reprends mon carnet, et je pars vraiment cette fois, sur le roman épistolaire que Louise et moi travaillons. Je nous ancre dans ce Montmartre enneigé, les sensations encore fraîches (c’est le cas de le dire, oui). J’écris et j’écris, puis je travaille un peu avec elle aussi, sur ses corrections. L’après-midi est artistique et cette balade s’avère plus productive que de rester chez moi.

Lorsque je finis mon café, il est froid et un album entier a dû passer dans mes oreilles. Je commence à me réchauffer et je ressors. Dehors, il ne neige plus. Je me dirige vers le cœur de la butte (ou plutôt le pied, car très vite les marches s’offrent à moi.) Je gravis Montmartre, par un chemin moult fois emprunté par le passé, le Sacré Cœur, église bâtie dans le sang, emplissant ma vue. Je repense aux morts de la butte, au sang qui a coulé sur ces mêmes marches. Inspiration pour ce roman, tiens.

Puis j’arrive en haut et Paris, drapé de blanc, s’offre à ma vue ¬– et à mon appareil photo. Souffle coupé, pas seulement à cause de la montée. C’est toujours beau, d’en haut, mais la neige… Je sais que ce n’est pas un phénomène magique, que c’est seulement de la pluie aux alentours des zéros degrés, pourtant quelle vision…

Paris, Ô Paris...
Vision dont je me détourne, cela dit, avant de m’enfoncer dans les ruelles qui contournent le Sanglant Sacré Cœur. Là, je me perds, volontairement, et je découvre des maisons devant lesquelles j’étais déjà passé, sous un nouveau jour. Elle jaillisse, se dessinent, comme levant l’illusion du commun, du vulgaire, pour se montrer, entières, certaines bordées de lierre. Je ne les avais jamais vues, pas vraiment du moins. On peut passer mille fois devant un endroit sans le remarquer, l’esprit ancré dans la routine. Puis un jour, sous la neige, les yeux s’ouvrent. Trois yeux, et non deux.

J’imagine la rencontre de nos personnages, de nuit, dans cette même neige. Je m’imprègne, je m’enivre de ce Paris, mon esprit dans un monde proche, bien que différent, plus sombre, plus romantique, plus terrifiant.

Je partage ces visions avec ma jumelle de plume, et un peu avec vous, par cet article.

Puis, il est temps de rentrer. Je retrouve le chemin vers le métro, et je redescends chez moi… Et lorsque je sors de ces souterrains, je ne vois plus que les reliquats de la neige, qui a déjà fondu. Tout n’est plus que glace où je marche, le charme dérobé par quelques heures à peine. Et je me dis que si j’étais parti l’après-midi, comme j’y avais d’abord songé, j’aurais raté tout cela.

C’est ainsi qu’en rentrant, j’ai songé au Carpe Diem, et à cet article. Si j’avais repoussé mon départ, tout ce que j’ai vécu plus haut, toute cette inspiration, n’aurait pas eu lieu d’être. Je serais passé à côté, par mon inaction.

Ce n’aurait pas été trop grave, bien sûr, cette fois, mais combien de fois passe-t-on à côté d’événements parce que nous n’agissons pas ? C’est ce que j’ai décidé de faire, il y a peu, d’agir, de changer de vie, de cueillir celle que je voulais, d’un point de vue littéraire et personnel et à de nombreuses reprises, si j’avais patienté, ou si je m’étais abstenu, je serais passé à côté de tellement de choses…

Cueillez le jour, n’attendez pas, tout est urgent dans cette vie.

 Fabienne : ce n’était peut-être pas une journée merveilleuse, mais elle n’était pas non plus « pas mal » 😉