Je vous avais déjà parlé de mon processus d’écriture ici,
mais cette fois-ci nous allons nous intéresser à l’étape qui est pivote pour
moi, l’écriture du synopsis. C’est marrant, vous allez voir, on se croirait
dans Dexter.
Architecte ou Jardinier ?

Deux termes à la mode pour désigner le processus
d’écriture sont souvent repris en ce moment : l’architecte et le jardinier. Si
j’ai bien tout suivi, c’est George Martin qui dans une interview a parlé de ces
deux façons de procéder et depuis c’est répété un peu partout. En gros,
l’architecte fait un plan et le jardinier navigue à vue. Mais aujourd’hui, j’ai
décidé de ne pas citer Martin et je vais faire ma propre métaphore:
D’une part, vous avez le tueur de sang chaud. C’est le
gars, il se ballade avec son fusil dans le sac, ni vu ni connu, prêt à passer à l'acte. Il
ne sait pas qui, ni où, il laisse venir. C’est la vibe, le feeling. D’un coup,
ça y est, il trouve une cible, comme une voiture immobilisée dans la campagne, par
accident. Il sort son joujou et il appuie sur la détente en poussant un cri de
dément alors que la page se noircit d’encre dans tous les sens. Il savait qu’il
allait passer à l’acte, mais le moment lui a dit comment. C’est seulement après
coup qu’il va nettoyer la scène du crime, ré-arranger son intrigue, etc. C’est
le Joker.
D’autre part, vous avez le tueur de sang-froid. Lui, il
sait qui il va tuer, il sait comment. Il suit sa victime depuis des semaines,
il l’a connait intimement, il a pris contact avec elle. Il connait ses
habitudes, ses petits défauts, ses petits plaisir. Le crime s’est déjà joué
des centaines de fois dans sa tête de maniaque. Lui, il se gorge de l’anticipation,
il jubile de savoir ce qu’il va faire. Et quand il passe à l’acte, c’est
soigné, froid, organisé. Tout se déroule comme il avait prévu et son plaisir c’est
la propreté du crime. La page se noircit dans l’ordre, au rythme défini et rien
ne saurait le détourner de sa besogne. Lui, c’est Hannibal.
Pour ma part, je me suis rendu compte en début d’année
que j’étais un architecte (sous-entendu un tueur de sang-froid). J’écris mieux
quand j’ai un plan détaillé qui soit réglé comme du papier à musique, avec tous
mes événements prévus à l’avance (hors nouvelles. Je peux écrire une nouvelle à
la one again !). Cet article vous aidera peut-être si vous êtes comme moi, ou
il pourra aider nos amis jardiniers à comprendre la machine mentale d’un gentil
architecte. Et puis si vous écrivez pas, il vous fera entrer dans les méandres
maladifs de l'esprit d’un auteur qui s’est un peu laissé emporter sur ce billet.
Comment est-ce que
je prépare un Synopsis ? (c’est-à-dire mon plan de crime)
NB : voilà la façon dont je procède habituellement, mais
rien n’est gravé dans le marbre et certaines étapes peuvent s’inverser ou
disparaitre. Je n’ai pas de modus operanti à la manière d’un écrivain en série
qui commettrait tous ses crimes de la même manière.
Étape numéro 1 : les personnages.
Avant toute intrigue, je réfléchis à mes protagonistes.
En général j’utilise des personnages que j’ai déjà joués en jeu de rôle par le
passé, mais certains sont aussi créés à ce stade-là.
À cette étape, tout est uniquement mental, je n’ai pas
commencé à écrire. Je me concentre sur leur attitude, leur façon de parler,
leur motivation, les conflits qui les animent etc. Je ne fais pas de fiches, ce
n’est pas trop mon truc et comme je l’ai dit, en général je les ai joués en jeu
de rôle avant, donc j’ai déjà une idée précise de leurs forces et faiblesses.
Beaucoup d’auteurs aiment les fiches, donc ne vous en privez pas si c’est votre
dada.
Étape numéro 2 : les bribes d’intrigue et le cadre.

Une étape qui se joue toujours dans ma tête et qui prend
plus ou moins de temps. Parfois un cadre me vient immédiatement, alors que
d’autres fois ce n’est pas aussi évident. Le cadre est important car il me
donne une ambiance particulière et les premiers éléments d’intrigue. Je peux le
trouver en voyant un dessin ou une photo, en écoutant une chanson, en lisant un
bouquin ou en tombant sur une scie-sauteuse. Mais, la plupart du temps, ça me
tombe dessus au hasard, sans explication rationnelle.
Par exemple, quand j’ai écrit Cancer Urbain, je
visualisais une ville grise et pluvieuse. Je n’avais pas vu de film noir depuis
un moment et on était en plein été, loin de l’univers que je décris. Bref, le
cadre m’est venu comme ça, sans raison valable ou explicable. Et il se mêlait
parfaitement à mes personnages très « film noir » et du coup l’intrigue s’est
peu à peu greffée dans ce cadre.
L’intrigue, parlons-en, me vient souvent par scènes. J’ai
une discussion, une scène d’action, un conflit qui me vient ou que au contraire
je vais chercher. Ces scènes se rejouent dans ma tête, encore et toujours,
jusqu’à ce que celles-ci soient parfaites et fixées dans sa mémoire.
Me voilà au final avec une trame incomplète, décousue et
inexploitable. C’est malgré tout le moment où l’imagination est vraiment libre.
Étape numéro 3 : on griffonne
Parfois j’essaye de m’organiser et de commencer par un
arc narratif, en trois étapes. Ça a marché une fois, j’ai réussi à avoir un
début, un milieu et une fin que j’ai pu ensuite compléter avec le synopsis
détaillé, détail par détail.
Mais souvent, ça ne fonctionne pas. Je trouve mon début,
mais la structure ne suit pas et je n’obtiens pas de scenario, même global. Du
coup j’abandonne et je passe à du détaillé, en commençant scène par scène.
Exemple :
Scène un : bidule rencontre machin et se lance dans une
quête épique pour sauver le monde.
J’obtiens ainsi plusieurs scènes, qui se suivent et en
général forment mon premier arc, soit environ le quart du livre. Puis je bloque, ça ne
colle plus et je perds le fil. Je buche, je me fais mal à la tête en cherchant
ce qui cloche, ce qui ne va pas et ce qui me plait.
Je change. Je réécris. Je jette. Je reformule. Je
réintroduis des personnages. J’en enlève. Je griffonne, quoi. Ça m’est arrivé
sur le projet Loreleï (titre définitif encore loin d’être trouvé) : j’avais
initialement deux protagonistes qui se croisaient, l’un embauchant le second
pour retrouver sa sœur et lancer l’action. J’ai synopsé, mais ça ne marchait
pas, il manquait quelque chose. Puis j’ai eu une idée, géniale, pour changer
les points de vue avec les personnages secondaires qui étaient au cœur de
l’intrigue. Ça ne marchait pas là, mais je tenais quelque chose. Puis merdre,
scrap, je ne garde qu’un seul protagoniste, l’autre est lamentablement jeté,
oublié, exécuté jusqu’à ce que son heure ne revienne. Et cette idée pas mal,
que je n’aurais pas eu autrement, fonctionne encore mieux sans lui (sorry
Sebastiaan, vous êtes le maillon faible, au-revoir). En passant, ma situation
initiale change et devient sacrément glauque et facile à écrire. Je tiens le
bon bout, j’arrête de griffonner. On passe aux choses sérieuses.
NB : quand je griffonne, je crois être sérieux. Je crois
que mon synopsis va marcher, se lancer, fonctionner direct. Pourtant non, ça
marche pas et je ne me rends compte qu’après : c’était juste un brouillon.
Étape numéro 4 : on synopse
Le déblocage dans la machine s’est fait. Elle commence à
rouler et j’écris une première scène, une deuxième. J’arrive à cinq. Je bloque,
j’ai une suite mais ça ne marche pas, j’ai un trou dans le scénario et ce n’est
pas logique. Ça ne colle pas. Mais je dois le rendre logique, c’est mon job
d’auteur après tout, mon intrigue doit se tenir ou les lecteurs me fusilleront
en bonne et due forme.
Je reste sur ma feuille à m’arracher les cheveux et les
yeux. Je procrastine. Je pleure (intérieurement). Je prends du café. Je
débloque une scène, je ne sais pas comment. En fait, je suis un peu un
bricoleur façon années 60 : je donne des coups de marteau sur le poste de
télévision jusqu’à ce que ça recapte une chaîne. Quand c’est bon, je me rassois
et je continue.
J’avance de quatre scènes, petit blocage. Je modifie un
truc que j’avais déjà écrit, le blocage disparait. Il fait nuit, je vais me
coucher. Je ne dors pas, je repense à ma scène, à ce qui bloque. À côté de moi
ma chérie est entre les bras de Morphée et pour cause, on approche des une
heure du mat. Du coup j’en parle à mes peluches, qui m’ignorent royalement. Ce
n’est pas l’heure. J’imagine en tout cas, mon cerveau carbure. Euréka ! J’ai
une idée. Je lutte pour la garder en tête et qu’elle soit encore là au réveil.

Une chance sur deux que je l’ai perdue quand mon réveil
me rappelle que je dois aller bosser (écrivain n’est pas un métier, vous le
savez bien). Mais si elle est là, je la garde. J’y repense, j’avance, puis
quand je retourne devant ma feuille word j’enchaîne les mots et les scènes
jusqu’à ce que mon esprit saigne.
Je rebloque. Ça ne marche pas. Je cogne plus fort, puis
un événement logique arrive. Comment ai-je fait pour ne pas y penser avant ?
En fait, écrire un synopsis pour moi, c’est une guerre
contre la logique. La logique utilise chaque faiblesse pour m’occire et je dois
lui présenter un front impeccable, au risque de me faire déchiqueter et perdre
le peu de santé mentale qu’il me reste. Oui, cette logique elle a lu du
Lovecraft et me menace à coups de tentacules qui rendent fou (je viens vraiment
de dire ça dans ce billet qui parle juste de synopsis ? Je vais me reprendre…)
Je fais finalement le même job qu’un jardinier, juste que
je résume chaque chapitre en une phrase. Je me fais des aide-mémoires, pour que
l’écriture soit facile après. Du coup je plains les collègues qui sont dans la
même galère sur leur roman en entier. Ça doit rendre dément.
Après ces péripéties, sous mes yeux, une histoire a pris
vie. Je l’ai accouchée même, cette putain d’histoire. Mais pour le moment ce
n’est que ça, un crime virtuel, sans cadavre.
Étape numéro 5 : on cautérise à vif
Quoi, vous pensiez que c’était fini ? Si seulement…
Les prochaines modifications de ce syno interviennent
pendant l’écriture. Car oui, malgré toute ma bonne volonté et toute ma
préméditation, l’écriture a ses lois. C’est comme notre tueur en série qui n’a
pas pensé que le chien aboierait pendant l’acte et qui doit improviser. Mon
personnage peut en effet, au moment de passer à l’acte, me dire merde. Isulka
(toujours elle !) me l’a fait dans mon tome 2 : je lui avais pourtant bien
écrit qu’elle devait se battre contre mon grand vilain.
Mais non, elle a tout de même jugé bon de me sortir
qu’elle adhérait à cent pourcent aux diatribes du grand vilain et du coup, elle
a signé un contrat avec lui. Quel personnage bien éduqué irait vous faire ça ?
(je vous rassure, c’est un faux spoiler qui ne vous ôtera en rien le plaisir de
la découverte !)
Bref, mon synopsis avait tort. Mon plan était fichu et
jamais je n’avais prévu de plan B. Avis à tous les tueurs en série en devenir :
prévoyez un plan B. Moi qui suis incapable de recoudre un bouton de pantalon,
j’ai donc dû procéder à une opération chirurgicale pour recoller les morceaux.
Appelez-moi Viktor, s’il vous plait.
En bref, voilà comment je travaille. C’est le foutoir, le
bazar, Stalingrad. Mais, ça finit toujours par magiquement se débloquer. C’est
sûrement ma muse qui en a marre de ne pas dormir et qui finit par prendre
possession de mon clavier pour me refiler une idée qui tient vaguement la
route, comme ça à la volée. Car rien de tout cela n’est rationnel. Je n’ai pas
de secret pour débloquer un nœud d’intrigue, à part tirer dans tous les sens en
espérant que ça dénoue l’histoire.

Je me rends compte que ce billet de blog est à l’image de
mon processus d’écriture, un peu foireux : je commence en vous promettant un
petit aperçu de comment faire un synopsis et je finis en vous disant que de
toute façon, le plan il ne ressemblera à rien et que ce sera la folie.
Ceci dit, c’est ma méthode marche et, pour l’instant, les
messieurs en blouse blanche ne sont pas encore venus me chercher.
Je vous laisse, on frappe à la porte…
Coup de Projecteur :

Twine est un petit logiciel sympathique qui permet de
faire des histoires interactives sur navigateur web. Pensez les livres dont
vous êtes le héros. Le gameplay, si on peut parler de gameplay puisqu’il s’agit
uniquement de texte, est d’une enfantine simplicité et se base uniquement dans
le choix. D'ailleurs si ça vous plait et que vous êtes un peu à l'aise avec l'IT, le logiciel est libre de droit et vous pouvez faire ça chez vous.
Cyberqueen est l’exemple parfait d’un petit jeu sans
prétention qui s’avère profond, cruel, sordide et décadent. Vous êtes dans un
vaisseau abandonné, à la Alien, contrôlé par une IA qui ne vous veut pas du
bien. Vos choix vous entraîneront dans un enfer moite et malsain qui n’a rien à
envier aux grands jeux d’horreur. Il rappellera aux fans de System Shock 2 de grands
souvenirs, mais l’œuvre s’avère 100% originale.
Et vous savez quoi ? C’est 100% gratuit (mais en
anglais).